mercredi 19 septembre 2018

53. VENUS. 7 ANS

Tout s'est passé très vite.
   On essayait des habits avec maman dans un magasin chic pour enfants de Beverly Hills quand un homme s'est approché de nous, m'a caressé les cheveux. Maman m'a toujours recommandé : " Ne te laisse pas toucher, ne prends pas de bonbons si un étranger t'en offre et ne suis jamais un inconnu. " Mais cette fois, elle était avec moi et elle n'a pas chassé le monsieur.
   - Je veux la photographier. Je suis photographe pour un grand catalogue de vêtements d'enfants, a-t-il déclaré. Maman a répondu qu'elle était elle-même mannequin, qu'elle connaissait le métier et qu'elle n'avait pas envie que sa fille entre dans cet enfer.
   Ensuite, je ne sais pas pourquoi, ils ont parlé chiffres. Chaque fois que le type en disait un, maman annonçait un chiffre au-dessus. C'était comme un jeu. C'est maman qui a eu le dernier mot et nous sommes rentrées à la maison.
   Une semaine plus tard, maman m'a accompagnée dans un endroit très éclairé. Tout le monde s'est affairé autour de moi. On m'a maquillée. On m'a coiffée. On m'a habillée. Tout le monde disait que j'étais belle, mais ça, je le sais depuis longtemps. Une dame a assuré que j'étais " plus que belle ". Parfaite.
   Bon, s'ils ne remarquaient pas tout seuls mon point faible, mon nez trop long, je n'allais pas le leur révéler. Ils ont commencé par m'asseoir sur une chaise pour me photographier sous tous les angles. J'adore le petit bruit des flashes. Ça ronronne comme un animal sur le point de bondir puis l'éclair jaillit et ça recommence.
   Ensuite, j'ai fait semblant de jouer à la poupée sur fond de nuages. Maman me contemplait avec fierté. Le monsieur était là et ils ont encore joué aux chiffres et c'est maman qui a encore eu l'air de gagner. Maman a souligné que j'avais accompli quelque chose d'extraordinaire et, pour me récompenser, elle m'a donné le droit de faire un vœu. Quel qu'il soit, il serait exaucé.
J'ai souhaité être vraiment parfaite.
- Tu es parfaite, a dit ma mère. J'ai sangloté.
   - Non. Mon nez est beaucoup trop long. J'ai besoin d'une opération esthétique.
- Tu plaisantes ? a ri ma mère. J'ai insisté :
- Tu t'es bien fait opérer, toi. Tes " rides ", ta " culotte de cheval "... Il y a eu un silence. Maman a hésité puis elle a déclaré :

   - Très bien, tu entreras dans l'histoire comme ayant été la fillette la plus précoce en matière de chirurgie esthétique. Allons-y.
   Je me suis retrouvée dans une clinique spécialisée avec pour chirurgien le Dr Ambrosio Di Rinaldi, un ancien sculpteur reconverti dans le travail de la chair. On le surnomme le " Michel-Ange du bistouri ". Il paraît que c'est lui qui a lancé la plupart des actrices à la mode et non pas leurs attachées de presse et leurs agents. Les chirurgiens sont les véritables révélateurs de talents. Mais chut, c'est un secret, le grand public n'est pas au courant. Ambrosio est tellement talentueux qu'il est capable d'opérer en anticipant sur ma croissance future.
   On m'a endormie sur une table et quand je me suis réveillée, mon visage était couvert de bandages. J'avais hâte de voir mon nez, mais il fallait que je patiente quelques jours, le temps que tout se ressoude.
   En attendant que les traces de l'opération disparaissent, je suis restée dans ma chambre. J'ai regardé mon film préféré, Cléopâtre, avec Liz Taylor. Liz Taylor est la plus belle femme du monde. Quand je serai grande, je serai Liz Taylor. La vraie Cléopâtre avait, paraît-il, elle aussi, le nez trop long. Peut-être est-ce là la malédiction des gens trop beaux ? Mais j'ai un avantage sur elle. À l'époque de Cléopâtre, on n'avait pas encore inventé la chirurgie esthétique, même si on connaissait déjà l'art des bandages.
   Mon opération du nez n'est qu'une première étape dans ma conquête du grand public.
Mon souhait à présent, c'est de devenir une star.

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