lundi 17 septembre 2018

11. UNE RENCONTRE INATTENDUE


    - Alors, petit vicieux, on se rince l’œil ? Je sursaute. Cette voix !
    - Tous ces mortels qui copulent, moi ça me dégoûte. Ça sue et ça halète. Et puis… et puis, c’est frustrant, finalement, de voir tous ces gens qui font l’amour alors que nous ne connaîtrons plus jamais le plaisir charnel.
Je me retourne. Raoul RAZORBAK !
Dégingandé, maigre, visage long et rectangulaire, nez pointu, physionomie de rapace. Il joue avec ses grandes mains aux doigts effilés. Il est exactement tel que la première fois où je l’ai rencontré au cimetière du Père-Lachaise. Il m’avait toujours subjugué. Son assurance, sa désinvolture, sa confiance en lui et dans ses rêves d’exploration avaient changé le sens ma vie.
    - Raoul, mais qu’est-ce que tu fabriques ici ?
Il est tranquillement agenouillé, les jambes recroquevillées sous ses bras.
    - J’ai demandé à être réincarné dans le cycle végétal pour me reposer un peu. Ça m’a été accordé a titré exceptionnel. J’ai donc été vigne, j’ai donné du raisin, mes grappes ont été cueillies. Transformé en vin, j’ai été bu et puis je suis revenu ici en conservant mon capital de points. Mon ange gardien a fait le nécessaire pour que j’accède au statut d’ange.
    - Si je m’attendais à te retrouver au Paradis !
    - Au Paradis ? Tu plaisantes ! Ce Paradis, c’est pire qu’un hospice de vieux ! C’est bons sentiments et compagnie. Résultat, on s’ennuie ferme. Dégageons vite fait et continuons à explorer l’univers, nom d’un chien !
Il s’agite.
    - Ici, c’est rien qu’une énorme administration. On gère, on épie, on surveille les mortels. Tu parles d’un plaisir ! Moi qui avais la hantise de finir fonctionnaire. Ah, Michael, on aurait mieux fait de choisir de retourner sur Terre pour jouer les Grands Initiés. On s’est fait avoir. Anges, tu parles ! Et si on ne réagit pas, on va rester anges pendant cent mille ans, a voir se succéder client après client. Le bagne !
Même furibond, je suis enchanté de retrouver mon meilleur ami. Je me sens rassuré, tout à coup. Je ne suis plus seul. Un ami d’en bas qu’on retrouve en haut, c’est vraiment l’aubaine.
Il pointe ses bras vers les chaînes de montagnes de nuages qui nous cernent.
    - Je t’assure, ici c’est la plus pernicieuse des prisons. Regarde, nous sommes coincés entre ces murailles. On est en Enfer, ouais !
    - Raoul, tu blasphèmes.
    - Mais non. Je sais bien que l’Enfer n’existe pas mais franchement, image d’Épinal pour image d’Épinal, je le regrette. Ça m’aurait davantage amusé de me retrouver parmi des chaudrons, entouré de femmes nues lascives, de harpies et de diablotins, dans une ambiance rougeoyante et paillarde, un peu comme dans le Troisième Ciel, tu vois ? Au lieu de ça, ce n’est que blanc et bleu, nuages et compagnons transparents, sans rien de marrant à l’horizon. Ah, filer d’ici, partir, bouger, retrouver notre aventure d’explorateurs du vingt et unième siècle. Repousser les limites du connu. Reprendre l’épopée des thanatonautes. Aller plus loin vers l’Inconnu.
Il noue un bras autour de mes épaules.
    - Depuis que l’humanité existe, il y a eu des gens désireux de savoir « ce qu’il y avait derrière la montagne ». Et toi et moi, Michael, nous faisons partie de ceux qui partent les premiers pour y aller voir. Explorateurs nous sommes, explorateurs nous restons. Alors, mon ami, je te propose de partir à la découverte de la prochaine Terra incognita.
J’examine plus attentivement Raoul. Il a conservé son allure de Sherlock Holmes et, à nouveau, près de lui, je fais figure de fidèle docteur Watson. Que va-t-il encore me proposer comme aventure ? Une fois le Paradis atteint, on connaît tout de tout, que pourrions-nous explorer de plus ?…

« La mort ? Oui, j’y ai pensé. J’aimerais mourir en m’endormant. Je m’endors, je crois que je rêve et je meurs. Après je voudrais être incinéré. Cela coûtera moins cher à ma famille. Ils mettront ma petite urne sur le dessus de la cheminée et ils ne seront pas obligés de venir fleurir ma tombe. Quant à l’héritage… mmm ! Allez, tiens, je vais vous le dire. J’ai caché de l’argent dans une statue d’hippopotame dans la cave, derrière la grosse commode faux Louis XV. Il suffit de la pousser. Celui qui trouvera le trésor pourra le garder. »
Source : individu interrogé dans la rue au hasard d’un micro-trottoir.

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