-
Alors,
petit
vicieux,
on
se
rince
l’œil
? Je sursaute.
Cette voix
!
-
Tous
ces
mortels
qui
copulent,
moi
ça
me
dégoûte.
Ça
sue
et
ça
halète.
Et puis…
et
puis,
c’est
frustrant,
finalement,
de
voir
tous
ces
gens
qui
font
l’amour alors
que
nous
ne
connaîtrons
plus
jamais
le
plaisir
charnel.
Je me retourne. Raoul RAZORBAK !
Dégingandé, maigre, visage long et rectangulaire, nez pointu,
physionomie de rapace.
Il joue
avec ses
grandes mains
aux doigts
effilés. Il
est exactement
tel que la première fois où je l’ai rencontré au
cimetière du Père-Lachaise. Il m’avait
toujours subjugué.
Son assurance,
sa désinvolture,
sa confiance
en lui
et dans ses rêves d’exploration avaient changé le sens ma
vie.
-
Raoul, mais qu’est-ce
que tu fabriques ici
?
Il est tranquillement agenouillé, les jambes recroquevillées sous
ses bras.
-
J’ai demandé à
être réincarné dans le cycle végétal pour me reposer un peu. Ça
m’a été accordé a titré exceptionnel. J’ai donc été vigne,
j’ai donné du raisin,
mes
grappes
ont
été
cueillies.
Transformé
en
vin,
j’ai
été
bu
et
puis
je
suis revenu ici
en conservant mon capital de points. Mon ange gardien a fait le
nécessaire pour que j’accède au statut
d’ange.
-
Si je m’attendais à
te retrouver au Paradis
!
-
Au Paradis ? Tu
plaisantes ! Ce
Paradis, c’est pire qu’un hospice de vieux ! C’est bons
sentiments et compagnie. Résultat, on s’ennuie ferme. Dégageons
vite
fait
et
continuons
à
explorer
l’univers,
nom
d’un
chien
!
Il s’agite.
-
Ici, c’est rien
qu’une énorme administration. On gère, on épie, on surveille
les mortels. Tu
parles d’un
plaisir ! Moi qui avais la hantise de finir fonctionnaire.
Ah,
Michael,
on
aurait
mieux
fait
de
choisir
de
retourner
sur
Terre
pour jouer les
Grands Initiés. On s’est fait avoir.
Anges, tu
parles ! Et si on ne réagit pas, on va rester anges pendant cent
mille ans, a voir se succéder client après client. Le bagne
!
Même furibond, je suis enchanté de retrouver mon meilleur ami. Je
me sens rassuré, tout à coup. Je ne suis plus seul. Un ami d’en
bas qu’on retrouve en haut, c’est vraiment l’aubaine.
Il pointe ses bras vers les chaînes de montagnes de nuages qui nous
cernent.
-
Je t’assure, ici
c’est la plus pernicieuse des prisons. Regarde, nous sommes
coincés entre ces murailles. On est en Enfer,
ouais
!
-
Raoul, tu
blasphèmes.
-
Mais non. Je sais bien
que l’Enfer n’existe pas mais franchement, image d’Épinal
pour
image
d’Épinal,
je
le
regrette.
Ça
m’aurait
davantage
amusé
de
me retrouver
parmi des chaudrons, entouré de femmes nues lascives, de harpies et
de diablotins, dans une ambiance rougeoyante et paillarde, un peu
comme dans le Troisième Ciel, tu vois ? Au lieu de ça, ce n’est
que blanc et bleu, nuages et compagnons
transparents,
sans
rien
de
marrant
à
l’horizon.
Ah,
filer
d’ici,
partir,
bouger,
retrouver notre aventure d’explorateurs du vingt et unième
siècle. Repousser les limites du connu. Reprendre l’épopée des
thanatonautes. Aller plus loin vers
l’Inconnu.
Il noue un bras autour de mes épaules.
-
Depuis que l’humanité
existe, il y a eu des gens désireux de savoir « ce qu’il y avait
derrière la montagne ». Et toi et moi, Michael, nous faisons
partie de ceux qui partent les premiers pour y aller voir.
Explorateurs
nous sommes, explorateurs
nous
restons.
Alors,
mon
ami,
je
te
propose
de
partir
à
la
découverte de
la prochaine Terra
incognita.
J’examine plus attentivement Raoul. Il a conservé son allure de
Sherlock Holmes et, à nouveau, près de lui, je fais figure de
fidèle docteur Watson. Que va-t-il encore me proposer comme aventure
? Une fois le Paradis atteint, on connaît tout de tout, que
pourrions-nous explorer de plus ?…
«
La mort ? Oui, j’y
ai pensé. J’aimerais mourir en m’endormant. Je m’endors, je
crois
que je
rêve et je meurs. Après je voudrais être
incinéré.
Cela coûtera moins cher à ma famille. Ils mettront ma petite urne
sur le dessus de la cheminée et ils ne seront
pas
obligés de venir fleurir ma tombe. Quant à l’héritage… mmm !
Allez, tiens, je vais vous le dire.
J’ai
caché de l’argent
dans une
statue d’hippopotame dans la cave, derrière la grosse
commode
faux Louis
XV.
Il
suffit
de
la
pousser.
Celui
qui
trouvera
le
trésor
pourra
le
garder.
»
Source
: individu interrogé dans la rue au hasard d’un micro-trottoir.
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