Je contemple l’immense panorama qui s’offre à mon regard.
-
Tu
n’es pas
obligé de marcher au sol, m’indique Edmond Wells.
Plus de
gravité ici, nous sommes libérés des contingences de la matière.
Tu
peux te
déplacer où tu veux, comme tu veux, dans
l’espace.
N’était le sol translucide un peu laiteux, on pourrait se croire
au milieu d’un
territoire humain
« normal
». Edmond
Wells
m’indique quelques
repères.
-
À l’ouest la
plaine où les anges se promènent lorsqu’ils veulent discuter
entre eux. Au nord les montagnes abruptes avec leurs cavernes
troglodytiques pour que les anges puissent s’isoler lorsqu’ils
veulent être tranquilles. Viens,
montons.
D’ici le territoire fait penser à un œil. En effet, au centre de
cette longue amande blanche effilée se trouve un rond turquoise.
Comme un iris. C’est une forêt d’arbres bleutés.
Et, au milieu de cet iris, il y a en guise de pupille, plus brillant,
un lac noir. Mais à la différence d’une véritable pupille
humaine, ce lac n’est pas circulaire, il a un peu la forme d’un…
cœur. J’ai l’impression que le Paradis est un œil turquoise qui
me regarde avec un cœur noir au centre.
-
C’est le lac des
Conceptions, me signale Edmond Wells.
Nous nous
approchons de cette zone plus sombre. Les arbres turquoise qui
l’entourent ressemblent à des pins parasols aux cimes drues et
plates.
Sous les arbres, il y a des anges. Ils sont le plus souvent assis en
tailleur, en lévitation à
un mètre
du sol,
sous les
branchages, avec,
devant eux,
trois sphères
disposées en triangle. Les anges les contemplent avec beaucoup
d’intérêt. Certains sont nerveux, d’autres excités et passent
sans cesse d’une sphère à l’autre.
Sur des
kilomètres, des
milliers d’anges
se tiennent
ainsi et
observent. Je
les regarde mais déjà mon instructeur me tire vers le
haut.
-
Ce sont quoi ces
arbres
?
-
Ce
ne
sont
pas
vraiment
des
arbres,
ils
servent
à
améliorer
l’émission
et
la réception
d’ondes venant de la
terre.
On virevolte. Je découvre, au sud, les vallées où les anges se
réunissent en
« assemblées restreintes ».
Nous bifurquons.
À l’est, une autre entrée qui, elle, présente des reflets de
diamant vert. Tout est
lumineux et
translucide, toujours
parcouru de
reflets. Noirs
pour l’eau
du lac, turquoise
pour les arbres, blanc nacré pour le
sol.
-
La
porte
de
Saphir
constitue
l’entrée
du
pays
des
anges,
c’est
par
là
que
tu es
venu.
Edmond Wells me désigne la grotte aux éclats verts, à l’est.
-
Celle d’Émeraude,
ici, c’est la sortie, c’est par là que tu partiras quand
tu auras
terminé ta mission d’ange. Allons discuter dans les plaines de
l’ouest. J’y connais un coin tranquille où nous serons à
l’aise pour notre première session d’enseignement.
Le secret des chiffres est l’objet de la première leçon d’Edmond
Wells. Il m’explique
que la forme des chiffres utilisés en Occident est d’origine
indienne et nous indique le parcours de l’évolution de la
vie. Le trait horizontal représente
: l’attachement
; la
courbe :
l’amour ;
le croisement
: le
choix.
-
: le minéral. Un simple trait vertical sans courbe ni ligne horizontale. Pas d’attachement, pas d’amour. Le minéral n’a pas de sensibilité.
-
: le végétal. Une ligne d’attachement au sol : la racine qui le fixe au sol. Au-dessus, une courbe d’amour tournée vers le ciel : la feuille ou la fleur aiment la lumière.
-
: l’animal. Deux courbes d’amour. L’animal aime la terre et il aime le ciel. Mais faute de trait horizontal, il n’est fixé à rien. Il est donc ballotté par ses émotions.
J’ai l’impression d’avoir déjà entendu cette énumération.
Pourquoi me la répète-t-on ? Me prendrait-on donc pour un être
stupide ?
-
Ce message que nous
apporte la forme des chiffres indiens, reprend Edmond
Wells,
il
te
paraît
simple,
et
pourtant
il
est
porteur
de
tous
les
mystères, de
tous les secrets, de tous les arcanes de l’évolution de la
conscience. C’est pourquoi
il
est
essentiel
de
le
répéter
et
d’y
revenir
sans
cesse.
Le
monde
évolue
conformément à la symbolique des chiffres
indiens.
Edmond Wells revient à ses dessins sur notre plancher de nuages.
-
: l’humain. Une croix le symbolise. C’est qu’il a le choix. Il est au carrefour où l’on décide de la nouvelle direction à prendre. L’humain a alors l’alternative entre redescendre au stade animal du 3 ou s’élever vers le stade du dessus. Du bout des doigts, mon instructeur esquisse un 5.
-
: le sage. Il présente une ligne horizontale d’attachement au ciel et une courbe d’amour vers la terre. Il plane dans sa tête et il aime le monde…
-
On
dirait
l’inverse
du
2,
lui
dis-je,
m’impliquant
enfin
dans
la
leçon.
-
…
le
5
tend
à
évoluer
vers…
toujours
davantage
de
conscience.
Toujours
davantage de
liberté. Toujours
davantage de
complexité. Le 5 veut se libérer de la
prison
de
la
chair,
laquelle
lui
impose
peur
et
douleur.
Il
veut
devenir
un
6.
Il inscrit un 6.
-
n’est qu’une seule courbe. Une courbe d’amour car l’ange aime. Regarde
cette spirale. Son amour part en haut du ciel, redescend en bas vers
la terre et remonte en son centre. C’est un amour qui fait le tour
de tout pour l’amener à s’aimer lui-même.
-
Tous
les 6 sont
ainsi
?
-
Non. Tous
les 6 en sont
capables, c’est tout. Et je compte bien te transformer
afin
que
tu
parviennes
à
devenir
un
6
digne
de
ce
nom.
-
Et le 7
?
Edmond Wells se renfrogne aussitôt…
-
Aujourd’hui,
ta
leçon
s’arrête
au
6.
Tu
ne
peux
connaître
que
ce
que
tu
es.
Concentre-toi sur ta tâche présente plutôt que de te disperser.
Je ne suis pas
une machine à répondre à toutes les questions. Viens
!
Il s’élève de nouveau au-dessus du sol. Il faut que je m’habitue
à ce pouvoir de
diriger mon
corps sur
trois dimensions,
comme en
plongée sous-marine.
Si ce n’est
qu’en plongée sous-marine tous les mouvements sont alourdis et
ralentis par le
frottement de
l’eau, alors
qu’ici chaque
geste est
fluide.
Il est d’autres nouveautés auxquelles je dois aussi m’accoutumer,
par exemple à
ne pas
respirer.
Je constate
que, presque
inconsciemment, mon
corps a toujours
été bercé
par le
rythme de
mes poumons.
Métronome discret,
il scandait toute
mon existence. Ici, il s’est effacé. Je suis dans un temps sans
fin, dans un corps immatériel.
Edmond Wells m’annonce
qu’à présent nous allons choisir les pions avec lesquels
je jouerai
ma partie.
Il m’entraîne
au-dessus du
lac noir
central en
forme de cœur. À
bien le regarder, je distingue des images qui se reflètent sur sa
surface.
Le lac
forme comme
un vaste
écran horizontal
découpé par
une mosaïque
de milliers de petits écrans. Sur chacun : des corps humains
nus enlacés s’agitent. Inutile
de frotter
mes yeux
absents. Je
ne rêve
pas, ce
sont bien
là des
couples en train
de faire l’amour.
- C'est le coin... Films pornos? Il hausse les épaules.
- C'est le lac des Conceptions que nous avons survolés tout à l'heure. C'est ici que tu vas choisir les parents des êtres dont tu auras la charge.
Autour de nous d’autres anges, flanqués de leur instructeur,
volettent et observent eux aussi les petites images qui ondoient la
surface du lac.
-
En les regardant
faire l’amour
?
-
En effet. Mais
auparavant, je vais te livrer encore un grand secret. La recette
d’une
âme.
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