mercredi 19 septembre 2018

136. IGOR. 21 ANS


   En tant que sergent-chef j'ai remis sur pied le commando des Loups. J'ai sélectionné les plus féroces des recrues. Je leur ai appris toute la force de la phrase : " Sois rapide ou sois mort. " J'ai inventé toutes sortes de jeux pour qu'ils développent leurs réflexes de rapidité. Ils jonglent avec des grenades dégoupillées, ils arrivent à éviter des flèches lancées de face, ils font des concours en posant leur main sur une table et en frappant de plus en plus vite entre leurs doigts écartés avec un couteau. Certains sont si véloces qu'ils arrivent à capturer à la main des petits lapins. J'ai réveillé quelque chose chez eux. L'animal. Ils parlent de moins en moins. Il n'y a plus un seul d'entre nous qui se permettrait de se lancer dans une discussion intellectuelle oiseuse.
   Quand un Loup s'adresse à un autre Loup c'est pour lui dire : " Attention derrière toi. " En fait, on ne prononce même pas " attention " seulement
" derrière. " Nous ne parlons que pour survivre. Mes Loups m'obéissent au doigt et à l'œil. Je suis plus que leur sergent, je suis le chef de la horde.
   Nous avons accompli ensemble plusieurs actions d'éclat qui ne seront jamais consignées dans les manuels d'histoire, mais qui auraient leur juste place dans les films de mes idoles, les stars américaines Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger. Stanislas est devenu mon bras droit, c'est lui qui morigène les Loups qui ne m'obéissent pas assez vite ou qui ne me comprennent pas à demi- mot. Il est très efficace. Si ça continue, nous parviendrons à ne plus parler du tout et à tous être branchés les uns sur les autres comme par télépathie Une fois, j'ai rencontré un type qui m'a dit : " Je suis content de devenir un loup car jusqu'ici, dans mes affectations précédentes, je n'ai pas eu de chance. " Je lui ai répondu que les gens qui n'ont pas de chance n'ont rien à faire dans mon groupe et je l'ai viré.
   Je crois que, dans la vie, il y a trois facteurs, le talent, la chance, le travail. Avec deux de ces facteurs on peut réussir : travail plus chance peuvent suffire, si on n'a pas de talent. Talent et travail peuvent compenser le manque de chance. Talent plus chance peuvent éviter le travail. Mais l'idéal est de disposer des trois. Je demande donc à mes loups, en plus de leur dextérité naturelle, un entraînement permanent, et un entretien régulier de leur chance.
Je leur ai appris ma nouvelle théorie. Nous avons tous un ange gardien. Quand ça ne va pas, il ne faut pas hésiter à lui adresser une prière express.
Stanislas a raconté plusieurs anecdotes où son ange gardien l'a sauvé et je crois avoir ainsi inculqué à mes Loups quelques rudiments de pensée mystique.
La horde fait des ravages. D'autant plus qu'en face ils ne croient qu'en leurs

machines. Les brebis se croient protégées par leurs radars, leurs mines et leurs nouveaux fusils d'assaut offerts par des ennemis de la Russie.
   Pauvres naïfs. N'importe lequel de mes Loups, à main nue, obtient plus de résultats que vous et vos robots électroniques. Parce qu'on a la rage et qu'aucun engin mécanique ne peut avoir la rage.
   Les médailles s'accumulent sur mon torse et, dans mon pays, ça signifie quelque chose. J'ai perdu quelques gars qui ont manqué de rapidité dans des moments cruciaux et qui sont donc morts. C'est la sélection naturelle des espèces, comme disait Darwin. Les moins forts disparaissent vite.
   Mon escouade m'admire et me respecte, mais je lui fais un peu peur. Je voudrais tant qu'un jour quelqu'un m'aime. Maintenant, j'aimerais bien une histoire d'amour normale avec une fille normale.
Pour ça, il faudra peut-être que j'obtienne encore davantage de médailles.
Les médailles, ça impressionne les filles.
   Ça impressionnera Venus. J'ai revu sa photo sur un journal qui enveloppait nos munitions. Il paraît qu'elle a été élue Miss Univers.

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