mercredi 19 septembre 2018

145. RIEN

Rien.
Il n'y a rien. Rien de rien.
   Mes trois amis ont continué les virées dans l'espace pendant que je surveillais docilement mes clients. Ils n'ont rien trouvé. Nous nous réunissons dans le coin sud du Paradis. Je suis content de ne pas avoir continué à perdre mon temps dans ces vaines expéditions.
   - Nous avons peut-être atteint notre limite de compétence, soupire Marilyn Monroe. Quand je pense que, jadis, les humains redoutaient d'être envahis par des extraterrestres qu'ils s'imaginaient méchants ou terrifiants. Si seulement... ils pouvaient exister !
   Freddy se lève. Je le connais bien. Quand il s'agite comme ça, c'est qu'il a une idée. Il frétille comme un chien d'arrêt qui aurait flairé sa proie.
   - Attendez... attendez, attendez, attendez. Vous connaissez l'histoire du type qui a perdu la nuit ses clefs dans la rue ?
   Raoul affiche une expression qui indique clairement qu'il n'a pas le cœur à entendre des blagues. Freddy poursuit, imperturbable :
   - Eh bien, il cherche ses clefs sous un réverbère. Un autre type le rejoint et l'aide à chercher. Il lui demande : " Mais vous êtes sûr de les avoir perdues là ? "
" Non ", répond l'autre. " Alors pourquoi vous les cherchez ici ? " " Parce que sous le réverbère, au moins, il y a de la lumière. "
Personne ne rit. Nous ne voyons pas le rapport avec nos propres recherches.
   - Notre erreur est peut-être de nous être limités dans nos explorations, dit Freddy. On cherche là où ça nous est facile de chercher. Comme ce type qui cherche ses clefs à la lueur du réverbère.
   - Mais nous n'avons pas de limites, proteste Marilyn. Nous avons voyagé sur des milliards de kilomètres à la vitesse de la lumière.
   - Nous nous sommes limités ! insiste le rabbin alsacien. Nous sommes comme des microbes dans un bocal. Nous avons l'impression de parcourir des distances incroyables, mais nous restons toujours dans le même bocal. Alors qu'on pourrait en sortir. Aller voir... au-delà.
   Je ne comprends pas où notre ami veut en venir. A priori, si loin que nous allions, nous ne rencontrerons pas de paroi de verre nous marquant une frontière.
- Et c'est quoi, notre " bocal " ? demandé-je.
- Notre galaxie.
   - Nous avons visité tout au plus 0,1 % des planètes susceptibles d'être habitées dans la Voie lactée.

- Pourquoi irions-nous chercher ailleurs ? demande Marylin.
Raoul Razorbak fronce ses sourcils épais. Lui semble saisir l'idée de Freddy.
   - Mais oui, bien sûr ! Chez nous, le Paradis est situé au centre de la Galaxie. Peut-être que dans les autres galaxies il y a d'autres paradis également situés au centre.
   J'aime ces instants d'ébullition intellectuelle où, brusquement, l'écran de notre imaginaire s'agrandit un peu.
   - Freddy a raison, répète Raoul. Il faut sortir de notre galaxie. Il n'y a peut- être qu'une seule planète dotée de conscience par galaxie... La nature créerait donc à chaque fois deux cents milliards de planètes pour n'en doter qu'une seule de vie et de conscience ? Quel... gaspillage !
Cela a en tout cas l'avantage d'expliquer pourquoi on n'a rien trouvé.
   - Le problème, dit Freddy, c'est que si la distance entre deux étoiles est déjà immense, la distance entre deux galaxies est encore plus considérable, des millions d'années-lumière.
   - Sommes-nous à même d'accomplir de tels parcours ? demande Marilyn Monroe.
Raoul répond du tac au tac.
- Sans problème. Nous pouvons encore voyager beaucoup plus vite.
   Je perçois les implications d'un si grand voyage. Visiter une autre galaxie équivaut à abandonner mes clients pendant une période qui risque d'être quand même très longue.
   - Sans moi. Je me suis engagé auprès d'Edmond. Je crois que vous allez commettre une très grosse bêtise, dis-je.
   - Ce ne sera pas la première fois, note Raoul. Après tout, cela fait aussi partie de notre " libre arbitre d'anges ".

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