mercredi 19 septembre 2018

203. DERNIÈRES RÉVÉLATIONS

Edmond Wells me met une main sur l'épaule.
   - Pourquoi n'acceptes-tu pas d'être surpris ? Pourquoi veux-tu tout connaître par avance ? N'apprécies-tu donc pas de cheminer sans savoir ce qu'il y aura derrière le virage ? N'apprécies-tu donc pas d'être étonné par ce que tu ignores ? Je vais te dire... bientôt tu vas devenir autre chose... de mieux. C'est tout ce que tu dois savoir pour l'instant.
J'essaie de biaiser.
   - Bon, alors juste une dernière question. Vous ne me répondez que si vous le souhaitez : croyez-vous en Dieu ?
Il éclate de rire.
   - J'y crois comme on croit aux chiffres. Est-ce que le chiffre 1 existe ? Est- ce que tu pourras un jour rencontrer l'incarnation du chiffre 1, ou du chiffre 2, ou 3 ?
   - Non. Ce sont juste des concepts.
   - Eh bien même si le chiffre 1, les chiffres 2 ou 3 ne sont, comme tu dis, que des " concepts ", ils permettent d'apporter des solutions à beaucoup de problèmes. Qu'importe dans ce cas si on y croit du moment que ça aide...
   - Ce n'est pas une réponse.
   - C'est pourtant la mienne. Là-dessus, il me pousse en avant.
   - Où me conduisez-vous ?
   - Sachant que la curiosité est le trait premier de ton caractère, je vais t'apporter un début de réponse à la plus grande question que tu te poses.
   Il me mène dans une pièce circulaire avec en son centre une grande sphère lumineuse où s'entassent des sphères plus petites.
   - Voici la sphère du destin des anges, annonce-t-il.
Il retourne sa paume et une bulle sort de la sphère pour atterrir sur sa main.
   - Voici... ton âme, précise-t-il. Regarde qui tu es vraiment, commande mon instructeur.
   Je m'approche. Pour la première fois, je vois distinctement mon âme, boule transparente avec à l'intérieur un noyau brillant. Mon mentor m'enseigne à lire mon âme et à apprendre son histoire depuis la nuit des temps.
   Avant d'être réincarné en Michael Pinson, discret pionnier de la thanatonautique, j'ai été médecin à Saint-Pétersbourg de 1850 à 1890. Je me suis beaucoup soucié d'améliorer l'hygiène durant les opérations chirurgicales. J'ai été l'un des premiers praticiens à suggérer de se laver les mains avec des savons désinfectants et de porter des masques pour protéger les patients des postillons.

À l'époque, c'était assez nouveau. J'ai enseigné cette hygiène dans les universités et puis je suis mort de tuberculose.
   Avant d'être docteur en médecine, j'ai été ballerine à Vienne. Une danseuse très belle, séduisante, aguichante, passionnée par les relations entre hommes et femmes. Je manipulais volontiers mes soupirants.
   J'ai fait marcher beaucoup d'hommes. Les autres filles de mon corps de ballet me prenaient pour confidente. Je voulais comprendre les leviers de l'amour et percer les mystères de l'inconscient. Je me croyais reine des cœurs et pourtant, finalement, je me suis suicidée par amour pour un bel indifférent.
   Au douzième siècle, j'ai été samouraï au Japon. Je me suis exercé aux arts martiaux jusqu'à trouver des gestes parfaits. Je ne réfléchissais pas et ne faisais qu'obéir aveuglément à mon shogun. Je suis mort en duel à la guerre.
   Au huitième siècle, j'ai été un druide avide de percer les secrets des plantes. J'ai enseigné à plusieurs disciples comment soigner les maladies avec des herbes et des fleurs. J'ai assisté à une attaque de Barbares de l'Est. J'ai été tellement choqué par la violence des hommes que j'ai préféré me suicider plutôt que de continuer à vivre parmi eux.
   Dans l'Égypte antique, j'ai été odalisque dans le harem d'un pharaon. J'errais, sereine, gâtée et désœuvrée, dans les jardins du palais en m'efforçant de soutirer à mon eunuque favori sa science de l'astronomie. Avant de mourir de vieillesse, j'ai transmis mon savoir à une favorite de mes amies.
   Autant de vies, autant de volonté d'accroître les connaissances humaines, autant d'échecs.
Edmond Wells me réconforte :
   - À travers le temps et l'espace, tu as toujours cherché le moyen de diffuser le savoir. Tu viens enfin de l'entrevoir après tant de vies, tant d'expériences, tant de douleurs et tant d'espoirs.
Il me révèle que la galaxie de la Voie lactée compte douze planètes habitées.
Mais pas forcément par des êtres de chair, de type humanoïde.
   - La Terre du système solaire est un lieu de villégiature très couru par les âmes car, elles y connaissent l'expérience la plus forte : celle de la matière.
   - La matière ?
   - Bien sûr. Même si tu as vu Rouge, il n'y a pas que des planètes où les âmes sont incarnées. L'expérience de la matière n'est pas si répandue que ça ! C'est pour cela que tu as dû parcourir tant et tant d'années-lumière pour trouver de la vie. Les âmes, même très évoluées, sont très impressionnées lorsqu'elles goûtent pour la première fois le bonheur d'être dans de la chair et de sentir le monde. Le plaisir des cinq sens est l'une des expériences les plus fortes de l'univers. Ah ! sentir un baiser ! J'ai même la nostalgie de respirer l'air marin ou de sentir le parfum délicat d'une rose. Enfin... Il arbore un air un peu triste puis se reprend.
   - Mais l'ensemble de l'humanité terrestre est en retard et doit s'élever. On envoie, en conséquence, des âmes des onze autres planètes notées à plus de 500 pour gonfler la population terrienne qui traîne à 333. C'est par exemple le cas de Nathalie Kim, une âme d'excellence venue de loin.
   Edmond Wells pose mon âme sur la pointe de son index et joue avec comme s'il s'agissait d'une balle de jongleur. Puis, tout d'un coup, il a un geste terrible. Il enfonce cette sphère de lumière dans mon poitrail !

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